Les relations plus que tendues entre les banques et les intermédiaires prennent une dimension juridique. Laurent Denis, avocat en droit bancaire et droit des assurances, a adressé fin janvier au ministre de l'Économie Bruno Le Maire une lettre de mise en demeure de faire cesser les entraves au libre choix de l'assurance emprunteur. Le juriste, qui représente un collectif de courtiers, souhaite dénoncer les pratiques commerciales illégales des établissements de crédit qui n'ont de cesse de saboter la libre concurrence sur le marché de l'assurance de prêt.
Des pratiques hors la loi non sanctionnées
Dans un courrier adressé mercredi 29 janvier à Bruno Le Maire, ministre de l'Économie et des Finances, Laurent Denis, avocat au cabinet Endroit Avocat Selas basé à Versailles, se fait la voix d'un groupe d'intermédiaires bancaires "réduits au silence par l'une des plus massive violence économique de ces dernières années, émanant des établissements de crédit français". Dans ce document, également envoyé à la commission européenne pour signalement d'une pratique anti-concurrentielle, il expose par le menu les graves atteintes à la libre concurrence sur le marché de l'assurance emprunteur. Les banques ne se contentent plus d'user de pratiques commerciales contraires aux intérêts des consommateurs, elles sont désormais en indélicatesse avec le droit en vigueur, privant les courtiers de l'exercice de leur profession.
Pour ce spécialiste du droit bancaire, du droit des assurances et de la réglementation des IOBSP, "ces pratiques illégales ne font l'objet d'aucune sanction". Il réclame que soient sanctionnés les établissements enfreignant le droit applicable, "publiquement et à bonne hauteur des très lourdes conséquences financières de ces pratiques".
Laurent Denis interpelle avec fermeté les autorités de l'État pour que cesse une aberration du système français : évalué à 9,1 milliards d'euros d'encours, le marché de l'assurance emprunteur est capté à près de 90% par les bancassureurs qui vendent des contrats deux fois plus chers que les contrats individuels des sociétés externes. Un non-sens économique dont la permanence serait presque ironique dans un contexte de reconquête du pouvoir d'achat. Malgré une large exposition médiatique et des prises de parole fréquentes des professionnels sur le sujet, l'anomalie de ce marché perdure sous les yeux des autorités publiques et des superviseurs des activités bancaires et assurantielles. Et l'avocat de rappeler à ces mêmes régulateurs les différents textes de loi sur la liberté de choix en assurance emprunteur et sur la liberté d'entreprendre en intermédiation.
Sanctionner, encadrer et organiser les pratiques commerciales en assurance emprunteur
Il y a deux mois, les relations entre les banques et les courtiers se sont envenimées quand certains établissements de crédit ont menacé voire décidé de se passer des services des intermédiaires. Alors que les taux n'ont jamais été aussi bas, le recours au courtage a pris de l'ampleur, témoignant de la valeur ajoutée de ce métier auprès des emprunteurs qui ont compris que les bonnes conditions d'emprunt ne se limitent pas à l'obtention du meilleur taux d'intérêt. Le fond du problème n'est pas le niveau plancher des taux qui érodent les marges des prêteurs que les effets d'une réglementation qui vise la délégation d'assurance. Les banques exercent des pressions à l'octroi des crédits pour forcer la souscription à leur contrat groupe, et des pressions en aval quand l'emprunteur souhaite changer de contrat. L'amendement Bourquin sur la substitution annuelle de l'assurance de prêt a rehaussé d'un cran la liberté de choix pour le consommateur : sur toute la durée de son crédit immobilier, il peut changer de formule à chaque échéance s'il le souhaite. À la clef, des milliers d'euros d'économie pour un emprunteur et à l'échelle de la communauté, ce sont 3 milliards d'euros qui pourraient être redistribués... et qui constituent un manque à gagner potentiel pour les bancassureurs.
Une relation dominants/dominés, tel est le lien entre les établissements financiers et les emprunteurs, que seuls les intermédiaires en crédit et en assurance peuvent distendre. Les banques l'ont bien compris. Certaines conventions de partenariat interdisent désormais aux courtiers de proposer de l'assurance emprunteur lors de l'octroi du prêt. Toutes les agences régionales des Caisses d'Épargne et des Banques Populaires imposent une clause stipulant que "le périmètre d’intervention du courtier se limite à la recherche d’une solution de financement portant sur les crédits destinés à financer les biens acquis par les clients du courtier, à l’exclusion du périmètre des contrats d’assurance que l’emprunteur pourrait se voir proposer dans le cadre dudit financement". Dans son courrier, Laurent Denis affirme que la plupart des établissements imposent des clauses identiques ou équivalentes.
Au-delà de l'imposition d'un principe de concurrence déloyale, maître Denis dénonce la passivité des autorités publiques chargées de la supervision bancaire. L'Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR), qui doit s'assurer du respect des droits des consommateurs, a pour mission principale de veiller "à la préservation de la stabilité du système financier", "une forme prononcée de conflit d'intérêts". La défaillance du régulateur est clairement pointée du doigt.
L'avocat émet 3 propositions simples et concrètes :
1.des sanctions financières effectives contre les banques qui mettent en œuvre des pratiques déloyales et anti-concurrentielles en assurance emprunteur ;
2.la diffusion d'une recommandation de la Banque de France et de l'ACPR sur les relations entre banques et courtiers ;
3.la mise en place d'un dispositif légal de mobilité en assurance emprunteur sur le modèle de ce qui existe en matière de mobilité des comptes bancaires afin que la résiliation/substitution de l'assurance ne dépende pas des seuls établissement de crédit.
La liberté de choix de l'emprunteur en matière d'assurance est toujours bafouée en dépit d'un arsenal législatif en place depuis près de 10 ans. Cela ne suffisait pas : les banques entravent aujourd'hui l'exercice des courtiers dont le rôle est de conseiller et d’accompagner en toute expertise pour permettre aux consommateurs de décrocher les meilleures conditions d'emprunt. Un contrôle effectif, suivi des sanctions inscrites dans la loi à l'encontre des banques irrespectueuses, s'impose plus que jamais.
La lettre de mise en demeure de maître Laurent Denis est à lire dans son intégralité via ce lien.