À la surprise générale, les deux assemblées sont parvenues à un accord concernant la proposition de loi de Patricia Lemoine. Réunis hier en commission mixte paritaire, députés et sénateurs ont validé la possibilité de résiliation à tout moment des contrats d'assurance emprunteur, le principal sujet de discorde entre les deux chambres. La suppression de la sélection médicale a elle aussi été adoptée, avec des plafonds abaissés. Ce texte est une immense victoire pour les partisans de la libéralisation de l'assurance emprunteur et une avancée majeure pour tous les emprunteurs, notamment ceux touchés par la maladie.
Oui pour la résiliation à tout moment !
L’accord était attendu avec fébrilité comme la fumée blanche au Vatican. Supprimée par les sénateurs lors de l'examen en première lecture la semaine dernière, au profit d'un renforcement de l'amendement Bourquin (précision sur la date d'échéance), la résiliation à tout moment a finalement été adoptée en commission mixte paritaire ce jeudi 3 février. Les 7 députés et les 7 sénateurs ont trouvé un terrain d'attente sur cette possibilité donnée à tous les emprunteurs de changer d'assurance quand ils le souhaitent pour en diminuer le coût.
Mesure phare de la proposition de loi portée par la députée Patricia Lemoine, la résiliation à tout moment n'est donc plus l'Arlésienne en assurance de prêt. Malgré l'opposition initiale des sénateurs, la CMP rétablit l'article 1 qui donne l'opportunité aux emprunteurs de résilier leur contrat en cours sans avoir de date d'échéance à respecter, une obligation qui profite aux bancassureurs.
Le rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, le sénateur Daniel Gremillet, a admis que "tous les éléments sont réunis pour que le marché de l'assurance emprunteur soit véritablement fluide". C'était pourtant lui l'auteur du détricotage de la proposition de loi Lemoine. La loi Hamon et l'amendement Bourquin deviennent caduques et sont remplacés par ce droit au changement à tout moment.
Le texte prévoit par ailleurs un renforcement des obligations d'information des assurés sur leur droit à résiliation : les assureurs devront informer chaque année leurs clients de l'existence de ce droit et de ses modalités de mise en œuvre, sur support papier ou tout autre support durable. Toute décision de refus devra être explicite et comporter l'intégralité des motifs de refus. Élargir le droit à résiliation sans renforcer l'information aux consommateurs aurait en effet été contre-productif.
Tout manquement à ces obligations pourra être sanctionné par une amende administrative de 3 000€ pour une personne physique et de 15 000€ pour une personne morale.
La CMP a entériné deux autres obligations :
- information du coût de l'assurance sur une durée de 8 ans ;
- rédaction de l'avenant au contrat dans un délai de 10 jours ouvrés à compter de la réception de la demande de substitution, et non plus à compter de l'acceptation de la demande de substitution, ce qui aurait porté la procédure à 20 jours ouvrés.
L'article 6 du texte élaboré par la CMP précise que ces dispositions seront applicables à compter :
- du 1er juin 2022 pour les nouvelles offres de prêt
- à compter du 1er septembre pour les contrats en stock.
"C'est un jour à marquer d'une pierre blanche", s'est félicitée Astrid Cousin, porte-parole du courtier MAgnolia.fr. "Dès septembre, tous les emprunteurs pourront se délester de leur assurance de prêt bancaire en faisant jouer la concurrence et récupérer des milliers d’euros de pouvoir d’achat très facilement. 550 millions d’euros pourraient être redistribués aux Français dès la première année de ce dispositif.”
Délai raccourci pour le droit à l'oubli
Le titre II du texte concerne l'évolution du droit à l'oubli et de la grille de référence de la convention Aeras (s'Assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé). Le délai pour bénéficier du droit à l'oubli sera réduit de 10 à 5 ans après la fin du protocole et sans rechute.
La concrétisation de cette promesse faite par Emmanuel Macron en 2017 était vivement attendue par les associations de malades et d'anciens malades. Les assureurs ne pourront recueillir aucune information médicale relative aux pathologies cancéreuses et à l'hépatite virale C passé ce délai de 5 ans. Les pathologies chroniques ont en revanche été écartées.
Le texte donne par ailleurs 3 mois aux signataires de la convention Aeras pour engager des négociations sur la possibilité d'appliquer, pour des pathologies autres que cancéreuses, des délais au-delà desquels les organismes assureurs ne peuvent demander aucune information médicale. À défaut d'accord au terme des négociations, le gouvernement interviendra par décret en Conseil d'État au plus tard le 31 juillet 2022 pour fixer les conditions d'accès au dispositif conventionnel, à un niveau au moins aussi favorable pour les candidats à l'assurance que celles en vigueur à la date de publication de la loi.
Introduite par les sénateurs malgré l'avis du gouvernement, la suppression de la sélection médicale est elle aussi actée par les deux chambres, mais les conditions sont moins généreuses que celles proposées initialement par les sénateurs. L'assureur ne pourra demander à l'assuré aucune information relative à son état de santé ni aucun examen médical si :
- le montant de la quotité assurée est inférieure à 200 000€ (au lieu de 350 000€) ;
- l'échéance de remboursement du crédit intervient avant le 60ème anniversaire (au lieu du 65ème anniversaire).
Un couple de co-emprunteurs pourra ainsi emprunter jusqu'à 399 999€ sans avoir à remplir de questionnaire de santé si la quotité d'assurance est de 50% sur chaque tête, sous réserve que cette répartition soit suffisante.
Ce droit concerne en premier lieu les emprunteurs âgés au plus de 35 ans, la durée de remboursement maximale étant fixée à 25 ans.
Certains courtiers n'ont pas caché leur scepticisme quant à la suppression encadrée de la sélection médicale. Si l'intention est louable, il ne faudrait pas qu'elle génère une augmentation des tarifs d'assurance, les "bons risques" payant pour les "mauvais", au détriment de tous.
Le régulateur y veillera. Conformément au 9ème et dernier article, le Comité Consultatif du Secteur Financier et l'Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution disposent d'un délai de deux ans pour remettre au Parlement un rapport relatif aux conséquences tant pour les assureurs que pour les assurés de la mise en œuvre de la résiliation à tout moment et de la suppression du questionnaire de santé.
Les deux assemblées ayant adopté un texte identique, la PPL repasse pour lecture définitive devant l’Assemblée et le Sénat les 10 et 17 février prochain. Espérons que le consensus est bien réel et qu'aucun parlementaire ne saisira le Conseil Constitutionnel pour retarder la promulgation de la loi.