Le marché de l'assurance de prêt reste capté par les bancassureurs en dépit d'un arsenal législateur censé faciliter le libre choix des emprunteurs. Dans le contexte actuel de taux bas, les banques œuvrent en coulisse pour maintenir leurs marges et n'hésitent plus à se mettre à dos les courtiers, pourtant partenaires indispensables dans la distribution du crédit immobilier. Las de cette concurrence déloyale, les intermédiaires en appellent désormais au gouvernement pour obliger les établissements bancaires à respecter la réglementation, tout simplement.
Une libre concurrence bafouée
Bientôt une décennie que la délégation en matière d'assurance emprunteur est inscrite dans le marbre et toujours aussi peu de parts de marché détenues par les assureurs concurrents des banques. Ces dernières phagocytent 85% du marché, une proportion identique à celle observée il y a dix ans. Elles n'ont eu de cesse d'exploiter les failles de la réglementation, qui s'est renforcée au fil des ans sans pour autant permettre un exercice plein et entier du libre choix du contrat pour l'emprunteur. Lois Lagarde et Hamon, plus récemment amendement Bourquin et bientôt peut-être une nouvelle loi Bourquin, le législateur a depuis longtemps mesuré l'importance de faciliter la délégation d'assurance de prêt pour briser le monopole bancaire sur ce produit contraint et redonner aux consommateurs le pouvoir d'achat perdu inutilement en souscrivant un contrat bancaire, plus cher et pas toujours adapté.
Bientôt une décennie que les pratiques bancaires bafouent sans vergogne le droit au libre choix de l'emprunteur. Désormais ces abus visent également les courtiers. Pénalisés par des taux d'intérêts au plancher depuis près de deux ans, les banques estiment que l'intermédiation ne leur est plus d'aucune utilité et ont décidé de récupérer les parts de marché glanées par les courtiers sur l'assurance de prêt immobilier. Pour les réseaux de courtage, les méthodes employées sont plus que déloyales, elles sont illégales, et requièrent sans tarder l'arbitrage du gouvernement. En février dernier, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a mandaté la Direction Générale de la Répression des Fraudes (DGCCRF) d'enquêter sur les pratiques bancaires. Il répondait ainsi à la demande du sénateur Bourquin qui, dans un courrier daté du 21 janvier, exposait les nombreuses atteintes à la libre concurrence. Au même moment, l'Apic (Association professionnelle des intermédiaires en crédit) alertait l'exécutif quant au pourrissement des relations entre les établissements bancaires et les professionnels du courtage, faisant remonter des centaines de témoignages d'intermédiaires victimes d'entraves à l'exercice de leur profession.
Des pratiques abusives à l'encontre des emprunteurs et des courtiers
La grogne des courtiers a débuté en novembre dernier quand certaines banques ont estimé qu'elles pouvaient désormais se passer de leurs services dans la distribution du crédit. Apporteurs d'affaires et experts dans le montage et l'analyse des dossiers de prêt, les courtiers sont devenus en quelques années des acteurs incontournables du marché du crédit immobilier. En 2019, 40% des emprunteurs ont sollicité les intermédiaires pour obtenir le financement de leur projet immobilier, en Île-de-France ils étaient 60%. Les banques n'ont pas vu ou refusent de voir le changement de comportement des emprunteurs dans la recherche d'un financement. Au contact direct avec le prêteur, qui peut exercer une pression insidieuse au préjudice de son client, le candidat à l'emprunt préfère aujourd'hui s'appuyer sur l'expertise et le conseil avisé d'un courtier.
Le contexte de taux bas alimente la frustration des banques, qui perdent de précieuses marges si le client choisit dans la foulée de souscrire son assurance en externe. Pour mémoire, les banques margent jusqu'à 70% voire 80% sur l'assurance de prêt, quand les formules alternatives proposées par les assureurs externes réalisent un gain moyen de 20%. Le crédit n'étant plus rémunérateur, les banques cherchent coûte que coûte à conserver tous les profits possibles, quitte à nier la déliaison entre assurance et crédit telle qu'imposée par la réglementation. Selon un grand réseau de courtage, il est aujourd'hui impossible à un emprunteur de souscrire seul une assurance en délégation, sans l'aide d'un courtier ou d'un comparateur. En écartant les intermédiaires, les banques peuvent à loisir imposer leur contrat groupe.
Les conventions de courtage dénoncées
Dans le viseur des courtiers, deux grandes enseignes bancaires : la BPCE et le Crédit Agricole. À elles seules, elles captent 62% de la production de crédit immobilier. Une position dominante qui nourrit légitimement les craintes des intermédiaires en raison des nouvelles conventions de courtage. La BPCE divise dorénavant par deux les commissions aux courtiers et introduit une nouvelle clause qui limite l'intervention de ses partenaires à la recherche du financement, excluant l'assurance de prêt. Le Crédit Agricole Charente-Périgord avait décidé d'accorder une rémunération supérieure aux courtiers qui prescrivaient le contrat groupe, avant de supprimer cette clause pour le moins déloyale et contraire au principe de libre concurrence. La méthode du Crédit Agricole Languedoc est encore plus brutale : le partenariat est rompu, ce qui lui vaut une action en justice de la part des courtiers lésés. Sur son site, la banque incriminée n'avait pas hésité à diffuser un article ("Un courtier, pour quoi faire ?"), dénigrant la mission et l'utilité des intermédiaires.
La tension entre les courtiers et les banques n'est pas un phénomène nouveau, mais elle vient de monter d'un cran avec ces comportements inadmissibles qui relèvent plus d'une juridiction que d’un arbitrage à l’amiable. Les associations de courtiers se heurtent pourtant à la politique de l'autruche des autorités financières. En décembre dernier, elles ont interpellé Bercy et l'ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution) sur les pratiques abusives des établissements de crédit. La réponse en dit long sur les missions parfois antagonistes du régulateur : l’ACPR continue d'assurer ses contrôles dans les établissements de crédit, mais les relations commerciales entre banques et courtiers ne sont pas de son ressort, sauf entrave à l'exercice du libre choix de l'emprunteur, sous réserve qu'elle puisse être prouvée.
Les méthodes sournoises de banques
Faire remonter les manquements des banques est une mission quasiment impossible pour les courtiers. L'ACPR leur demande d'apporter la preuve de leurs dénonciations sous peine d’être coupables d’allégations mensongères. Les banques sont passées maître dans l'art de la dissimulation, ne laissant aucune trace écrite de leurs méfaits. Pour sévir, le régulateur et contrôleur a besoin d'éléments irrécusables que les courtiers peinent à rassembler. Selon le courtier Magnolia.fr, les banques imposent tacitement des quotas de délégation aux courtiers, qui, bien qu'ayant toujours été pratiqués, sont aujourd'hui réduits à la portion congrue : de 20% à 30%, ils atteignent actuellement 8% à 10%, quand ils ne sont pas totalement laminés.
Des comportements beaucoup plus sournois ont fait leur apparition, comme le recours aux mandataires qui distribuent le produit d'assurance bancaire ou encore le crédit lissé à échéances constantes. À l'origine de nouveau type de prêt, le réseau BPCE, encore lui : commercialisée depuis mi-2017, la formule permet de faire payer l'essentiel de l'assurance en début de prêt, ce qui dissuade l'emprunteur d'engager une démarche de substitution quelques années après la conclusion du crédit. Le discours est rodé, le client croît être gagnant par ce lissage des mensualités, mais il ne voit pas qu'il est fait au détriment de l'amortissement du capital. Rien d'illégal dans ce montage si tant est qu'en amont l'emprunteur ait pu exercer son libre choix.
Pourquoi l'ACPR ne met-elle pas un terme à ces comportements léonins ? Pour Laurent Denis, avocat spécialisé dans la défense des courtiers, les exemples iniques de la part des banques illustrent la "faiblesse congénitale de la régulation bancaire en France, qui privilégie la préservation du système au détriment éventuel des droits du consommateur" et "se comporte comme un conservatoire du littoral bancaire". Actuellement juges et parties, les banques ont la mainmise sur la délégation et la substitution de l'assurance de prêt. Le juriste réclame une recommandation de l'ACPR, ainsi que l'application de sanctions pour les établissements qui méprisent la libre concurrence dans le domaine de l'assurance emprunteur.